🌈 Fratrie et neurodiversité : grandir ensemble, différemment
- Delphine Bessière
- 13 nov.
- 5 min de lecture
Dans certaines familles, il y a celui qui parle sans s'arrêter, celle qui oublie ses chaussures tous les deux jours, et celui du milieu qui gère les tensions comme un ministre des affaires étrangères en pleine crise diplomatique.
Il y a celle qui comprend tout, tout de suite… et celui qui, lui, comprend surtout les règles du dernier jeu vidéo sur le bout des doigts, avec une précision encyclopédique.
Il y a les "Ce n'est pas juste !", les "Pourquoi c'est toujours moi ?", et parfois… des silences remplis de fatigue, d'attente, ou de tendresse à demi-mot.
La fratrie, quand un ou plusieurs enfants sont neuroatypiques, ce n'est pas toujours simple. Mais c'est aussi un terrain d'apprentissage extraordinaire : empathie, adaptation, patience, et cette capacité magique à rire… même au milieu du chaos.
Quand les besoins diffèrent : le grand écart quotidien
Dans une fratrie où cohabitent neurotypiques et neuroatypiques, les besoins peuvent parfois sembler contradictoires. L'un a besoin de silence absolu pour se concentrer sur ses devoirs, l'autre a besoin de bouger et de parler pour réfléchir. L'une supporte mal les imprévus et a besoin de routine, l'autre s'épanouit dans la spontanéité.
Les parents jonglent alors entre des emplois du temps complexes, des aménagements spécifiques, des rendez-vous médicaux ou thérapeutiques pour l'un, et le besoin légitime des autres d'avoir aussi leur temps, leur espace, leur attention. Ce n'est pas une question d'amour inégalement réparti, mais d'énergie et de temps qui ne sont pas extensibles à l'infini.
Pour l'enfant neurotypique, cela peut créer des sentiments ambivalents. D'un côté, il comprend souvent très bien les différences de son frère ou de sa sœur. De l'autre, il peut ressentir de la frustration : pourquoi lui a-t-il le droit de sortir de table plus tôt ? Pourquoi elle peut refuser d'aller à l'anniversaire de la cousine, alors que moi je dois y aller ? Pourquoi les règles semblent-elles flexibles pour l'un et rigides pour l'autre ?
Les frères et sœurs : ces alliés invisibles
Souvent, les enfants neurotypiques d'une fratrie développent une maturité précoce et une sensibilité remarquable. Ils deviennent traducteurs, médiateurs, protecteurs. À l'école, ils expliquent pourquoi leur frère réagit comme ça. Dans la cour de récréation, ils veillent discrètement. À la maison, ils anticipent les crises, baissent le son de la télé sans qu'on le leur demande, apprennent à décoder les signes de surcharge sensorielle.
Cette maturité est précieuse, mais elle a un prix. Ces enfants portent parfois une responsabilité qui ne devrait pas leur incomber. Ils peuvent avoir l'impression de devoir être "parfaits" pour ne pas ajouter de charge à leurs parents, ou se sentir coupables de leurs propres besoins. "Mes parents ont déjà tellement de choses à gérer avec mon frère, je ne vais pas en rajouter."
Il arrive aussi qu'ils ressentent de la jalousie, de la colère, ou même de la honte vis-à-vis de leur fratrie neuroatypique. Et c'est normal. Ces émotions ne font pas d'eux de mauvaises personnes, elles font d'eux des enfants qui ont aussi le droit d'exister pleinement, avec leurs propres difficultés et leurs propres limites.
Du côté de l'enfant neuroatypique : un autre vécu
Pour l'enfant neuroatypique, la relation fraternelle peut être tout aussi complexe. Il peut ressentir de la culpabilité de "prendre toute la place", d'être celui qui complique les choses, celui à cause de qui on ne peut pas faire certaines activités en famille.
Il peut aussi envier la facilité apparente avec laquelle son frère ou sa sœur navigue dans le monde social, réussit à l'école, se fait des amis. "Pourquoi c'est si facile pour elle et si compliqué pour moi ?" Cette comparaison permanente peut entamer l'estime de soi.
Mais il y a aussi, souvent, un lien profond et protecteur entre frères et sœurs. Une complicité qui se crée autour d'une compréhension intuitive, d'un langage commun, d'un humour partagé. L'enfant neuroatypique sait que son frère ou sa sœur le comprend, parfois mieux que quiconque.
Comment soutenir toute la fratrie ?
Nommer les choses clairement
Expliquer aux enfants, avec des mots adaptés à leur âge, ce qu'est la neuroatypie. Dire pourquoi les règles peuvent être différentes, pourquoi tel aménagement est nécessaire. Les enfants ont besoin de comprendre pour accepter. Le non-dit nourrit les fantasmes et les ressentiments.
Reconnaître l'effort de chacun
Dire à l'enfant neurotypique : "Je vois que tu es patient, que tu adaptes, que tu aides. Merci. Mais tu as aussi le droit d'être fatigué, énervé, d'avoir envie que ce soit plus simple." Lui rappeler qu'il n'est pas responsable de son frère ou de sa sœur, que c'est le rôle des adultes.
Créer des espaces individuels
Chaque enfant a besoin de moments seul avec ses parents, de temps où il n'est pas "le frère de" ou "la sœur de", mais juste lui-même. Un café du samedi matin, une sortie à deux, un rituel du coucher rien qu'à eux. Ces bulles d'exclusivité sont essentielles.
Autoriser les émotions négatives
Permettre à tous les enfants d'exprimer leur colère, leur jalousie, leur fatigue, sans culpabilité. "Oui, c'est parfois injuste. Oui, c'est fatigant. Oui, tu as le droit d'être en colère." Ces émotions sont légitimes et doivent avoir leur place.
Valoriser les forces de chacun
Chaque enfant a ses talents, ses particularités, ses réussites. Célébrer ce qui rend chacun unique, sans tout ramener à la neuroatypie. L'un dessine merveilleusement bien, l'autre court vite, un autre connaît tous les noms de dinosaures. Chacun mérite d'être vu pour ce qu'il apporte.
L'équité, ce n'est pas faire pareil pour tous… c'est faire juste pour chacun
C'est la phrase à graver dans le marbre familial. L'équité, ce n'est pas donner la même chose à tout le monde, c'est donner à chacun ce dont il a besoin pour s'épanouir.
L'un a besoin de plus de temps, l'autre de plus de structure, un troisième de plus de liberté. Ce n'est pas de l'injustice, c'est de l'adaptation. Et c'est peut-être l'une des plus belles leçons que peut offrir une fratrie touchée par la neurodiversité : comprendre que la différence n'est pas un problème à résoudre, mais une réalité à accueillir.
La force d'une fratrie inclusive
Malgré les défis, ces fratries développent souvent des liens d'une profondeur rare. Les frères et sœurs d'enfants neuroatypiques grandissent avec une ouverture d'esprit, une tolérance et une capacité d'adaptation qui les marquent toute leur vie. Ils apprennent très jeunes que le monde n'est pas uniforme, que chacun fonctionne différemment, et que c'est exactement comme ça que ça doit être.
Et pour l'enfant neuroatypique, avoir un frère ou une sœur qui le comprend, qui le défend, qui sait décoder ses codes, c'est un trésor inestimable. Une ancre dans un monde qui peut parfois sembler hostile ou incompréhensible.
Alors oui, il y a les disputes, les "c'est pas juste", les moments d'épuisement. Mais il y a aussi les fous rires complices, les alliances secrètes, les gestes de tendresse discrets, et cette capacité unique à s'aimer non pas malgré les différences, mais avec elles.
Chez Aladin, nous accompagnons les familles dans toute leur diversité, en prenant en compte chaque membre de la fratrie. Parce qu'une famille inclusive, c'est une famille où chacun trouve sa place, sans avoir à renoncer à ce qu'il est.
Vous vivez ces défis au quotidien dans votre fratrie ? Vous avez besoin d'échanger, de partager ou simplement d'être écouté ? Nos groupes de parole et nos ateliers sont là pour vous.





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